8.5.17

Le rôle du crime organisé dans la vie politique de l’Ouzbékistan

Communication de Nadejda Atayeva aux auditions du Parlement européen le 3 mai 2017, 
sur le thème: aide de l’UE au rapatriement des actifs détournés

Mesdames,
Messieurs,

Salimbai ABDUVALIEV,
le « boss de la mafia » 
Je m’adresse à toutes les personnes présentes pénétrée d’un profond respect pour votre position de principe et vous dis toute ma gratitude pour m’avoir donné la possibilité de m’exprimer devant vous.

Le fond de notre débat porte sur la recherche de mécanismes efficaces destinés à l’éradication des sources de la corruption. Pour ma part, je souhaite attirer votre attention sur un thème peu étudié jusqu’à présent : le rôle de la criminalité organisée dans la vie politique de l’Ouzbékistan. Je voudrais explorer ce thème en prenant l’exemple des principaux leaders criminels du crime organisé Salimbai ABDUVALIEV et Batyr RAKHIMOV.

Ces personnes sont connues de l’opinion publique en tant que super-riches disposant de possibilités illimitées ; depuis de nombreuses années ils sont parvenus à bénéficier de privilèges de la part du chef de l’État ouzbek en vue de leur enrichissement personnel et à occuper une situation de monopole dans les domaines les plus lucratifs de l’économie de l’Ouzbékistan. Un tel trafic d’influence s’avère être la source de crimes qui n’ont pas uniquement le caractère de délits de corruption.

Selon les données fournies par le site Wikileaks, il est question, dans les communications
Batyr RAKHIMOV, 
oligarque ouzbek,
chanteur débutant
 
diplomatiques de l’ancien ambassadeur des USA en Ouzbékistan,
Jon Purnell, du trafic d’emplois de la haute fonction publique mené par ABDUVALIEV, et par ailleurs on remarque la présence de ministres ouzbeks et de leurs épouses, qui ont comblé de cadeaux des membres de la famille d’ABDUVALIEV, aux fêtes que ce dernier organise. Nos propres informations confirment ces observations.

Divers indices montrent qu’ABDUVALIEV, comme par le passé, demeure un familier du régime actuel de l’Ouzbékistan. Il a ostensiblement prêté un soutien actif à Shavkat MIRZIYOYEV lors des dernières élections présidentielles. Depuis six mois déjà, une photographie circule dans l’espace internet, où le mafieux Salimbai ABDUVALIEV et le président de la République d’Ouzbékistan MIRZIYOYEV échangent une poignée de mains. Cette poignée de mains en public constitue un signal clair adressé à la société du fait que MIRZIYOYEV avait déjà à ce moment donné à une « autorité » criminelle le droit de mener ses « affaires » sous sa protection et au nom de l’État. Il est remarquable que, peu après cette poignée de mains en public, Salimbai ABDUVALIEV ait été nommé vice-président du Comité olympique.
 
Le président de l’Ouzbékistan, Shavkat MIRZIYOYEV (à gauche)
et le « boss de la mafia »
Salimbai ABDUVALIEV
se serrent la main,
photographie relevée sur Internet
 
L’obtention par Salimbai ABDUVALIEV d’un mandat de fonctionnaire d’État est perçue comme la délivrance d’une licence officielle de racket. Les relations mutuelles de Shavkat MIRZIYOYEV et de Salimbai ABDUVALIEV font du nouveau président de l’Ouzbékistan un participant de la mafia transnationale, étant donné que Salimbai ABDUVALIEV est lié à celle-ci.

Salimbai ABDUVALIEV
cette photo a été diffusée pendant 
la campagne présidentielle de 2016
Il est possible que l’une des raisons du maintien à flot de Salimbai ABDUVALIEV soit l’existence de liens étroits entre lui-même et le SNB (Service National de sécurité) d’Ouzbékistan. Salimbai ABDUVALIEV exécute des missions dans le cadre d’opérations de ce service menées en coulisses. Comme le montre l’analyse de l’affaire de l’attentat politique de Suède (en 2012) contre la personnalité religieuse Obidkhon Qori NAZAROV, le SNB maintient Salimbai ABDUVALIEV à son poste de dirigeant d’organisations sportives en guise de couverture pour ses actions en vue de l’élimination des opposants au régime actuel qui vivent à l’étranger.

Dans l’exécution de ce genre de missions, ABDUVALIEV agit par l’intermédiaire d’autres figures des affaires parallèles, en particulier de Batyr RAKHIMOV. Le nom de ce dernier mérite une attention particulière.

Le tueur professionnel Yuri Zhukovsky, condamné en Suède à la réclusion à perpétuité pour l’attentat contre la personnalité religieuse Obidkhon Qori NAZAROV, a avoué avoir reçu d’Umid AMINOV, originaire de la ville de Boukhara (et connu, selon son passeport
Le tueur Yuri Zhukovsky (à gauche)
et Umid AMINOV (Tigran KAPLANOV)

photographie relevée sur le site eltuz.com
russe, sous le nom de Tigran KAPLANOV), deux cent mille dollars US pour l’opération de liquidation de cette personnalité religieuse en disgrâce. Il est apparu lors de l’enquête que KAPLANOV-AMINOV avait pendant de nombreuses années vécu dans l’entourage proche et dépendu pour sa subsistance de l’oligarque Batyr RAKHIMOV, lequel est à son tour lié à
Salimbai ABDUVALIEV.

La tentative d’assassinat d’Obidkhon Qori NAZAROV par des criminels sur ordre des services spéciaux ouzbeks n’est pas la seule de son espèce : en octobre 2007, des tueurs, en mission pour le SNB, ont assassiné à Och (sud du Kirghizistan) Alisher SAÏPOV, journaliste connu. En 2014, selon un scénario semblable, les services spéciaux ouzbeks ont organisé l’assassinat en Turquie d’une autre personnalité religieuse, l’imam Mirzagolib KHAMIDOV, connu de ses disciples sous le nom d’Abdullah BUKHARI. Dans tous ces cas apparaissent en pleine lumière les noms de KAPLANOV et de l’oligarque Batyr RAKHIMOV.

Salimbai ABDUVALIEV et Batyr RAKHIMOV
Son activité dans le domaine du sport ouzbek permet au «boss de la mafia» Salimbai ABDUVALIEV et aux membres de son réseau d’obtenir des visas et de se rendre dans des pays occidentaux où sont concentrés les réfugiés ouzbeks. Grâce aux visas, ils peuvent aussi exporter dans d’autres pays étrangers des actifs accumulés illégalement. Salimbai ABDUVALIEV ou ses hommes de main organisent l’obtention de visas SCHENGEN pour des tueurs sous couvert des organisations sportives et de leurs liens internationaux.

Les organismes comme Interpol, Europol ainsi que les autorités chargées de l’application du droit dans les pays où vivent des réfugiés ouzbeks sont invités instamment à tourner leur attention vers ces prétendus responsables sportifs et à prendre les mesures adéquates, y compris en ce qui concerne les représentants du pouvoir ouzbek qui leur sont liés.

Je vous remercie de votre attention.





22.2.17

Muhammad Bekjanov, libre après 18 ans passés dans les prisons ouzbèkes


Lauréat du Prix 2013 pour la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), le journaliste ouzbek Muhammad Bekjanov, a été libéré ce 22 février 2017 après 18 ans de prison. C’était l’un des journalistes emprisonnés depuis le plus longtemps au monde. L’Association "Droits de l’Homme en Asie centrale" (AHRCA), Civil Rights Defenders (CRD), Freedom House, International Partnership for Human Rights (IPHR), le Norwegian Helsinki Committee (NHC), RSF et Uzbek–German Forum for Human Rights (UGF) expriment leur profond soulagement et appellent les autorités à laisser le journaliste rejoindre sans délai sa famille aux Etats-Unis.

Ancien rédacteur en chef du principal journal d’opposition ouzbek et “héros de l’information” de RSF, Muhammad Bekjanov était l’un des journalistes emprisonnés depuis le plus longtemps au monde. Incarcéré en 1999 et soumis à la torture, il avait vu sa peine prolongée in extremis en 2012. A 62 ans, il retrouve enfin la liberté ce 22 février. Selon les premières informations disponibles, il ne sera pas autorisé à quitter le pays pendant un an, ce qui veut dire qu’il restera encore quelque temps séparé de sa famille, exilée aux Etats-Unis.

“Nous sommes extrêmement heureux et soulagés de savoir Muhammad Bekjanov en liberté, déclarent les organisations signataires. Il est tragique et profondément injuste qu’il ait passé autant de temps en prison pour n’avoir fait que son travail. Sa libération ne sera complète que lorsqu’il sera autorisé à rejoindre sa famille aux Etats-Unis.”

“Nous réitérons notre appel à la libération immédiate de tous les journalistes et défenseurs des droits de l’homme qui restent injustement détenus en Ouzbékistan, poursuivent les organisations signataires. Nombre d’entre eux souffrent de graves problèmes de santé. Nous sommes particulièrement inquiets pour Yousouf Rouzimouradov, collègue de Muhammad Bekjanov arrêté en même temps que lui, et dont nous sommes depuis longtemps sans nouvelles.”

Au début des années 90, à la tête de la rédaction d’Erk (Liberté), Muhammad Bekjanov a tenté d’ouvrir le débat sur tous les sujets tabous : catastrophe écologique de la mer d’Aral, recours au travail forcé dans les champs de coton, économie exsangue... Son frère, le célèbre opposant et poète Muhammad Salikh, était le seul adversaire du président Islam Karimov aux élections de décembre 1991. Une série d’attentats à Tachkent, en 1999, a servi de prétexte au régime pour achever de faire taire les critiques : comme de nombreux militants démocrates, Muhammad Bekjanov a été jugé complice et condamné à 15 ans de prison. En février 2012, quelques jours avant le terme de sa détention, il a été arbitrairement condamné à quatre ans et huit mois supplémentaires pour “refus d’obtempérer aux demandes de l’administration pénitentiaire”.

Du fait des tortures dont il a fait l’objet en prison et d’une grave tuberculose longtemps restée non traitée, le journaliste a perdu de nombreuses dents et une partie de son ouïe. Depuis quelques années, il est sujet à des pics de douleur et une gêne permanente dus à une hernie de l’aine, qui s’est déclarée alors qu’il était employé en prison à la fabrication de briques.

L’Ouzbékistan occupe la 166e place sur 180 au Classement mondial 2016 de la liberté de la presse. Quelques prisonniers politiques, dont le défenseur des droits de l’Homme Bobomourod Razzakov et l’opposant Samandar Koukanov, ont été libérés depuis la mort de l’ancien président Islam Karimov, en août 2016. Mais de nombreux journalistes, opposants politiques, défenseurs des droits de l’homme et autres représentant de la société civile croupissent toujours en prison.