Ce dimanche ont lieu des législatives très attendues en Ouzbékistan. Dans une note de situation publiée avant les élections du 22 décembre, l'Association Droits de l'homme en Asie centrale (AHRCA), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et International Partnership for Human Rights (IPHR) expriment leur profonde préoccupation concernant le respect des droits humains en Ouzbékistan, à la lumière des risques qui pèsent sur la possibilité de la tenue d'élections libres et équitables.
Depuis l'arrivée de Chavkat Mirzioïev au pouvoir en 2016, plus de 2 000 nouvelles lois et décrets exécutifs ont été introduits dans le but de favoriser l'indépendance de la justice et d'améliorer le respect des droits humains. En outre, des défenseurs des droits humains, des journalistes et d'autres prisonniers politiques ont été libérés des prisons où ils purgeaient de longues peines après avoir été condamnés pour des motifs politiques lors de procès inéquitables.
Cependant, le contexte actuel, caractérisé par des entraves à l'action indépendante de la société civile, des persécutions et un harcèlement des journalistes et des critiques des autorités, la conduite d'élections libres et équitables est peu probable. Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) qui a ouvert une mission d'observation électorale en Ouzbékistan le 25 novembre 2019, a notamment rappelé que cela faisait de nombreuses années que le parti d'opposition n'avait pas été autorisé à concourir.
Dans leur note, la FIDH, l'IPHR et l'AHRCA reviennent sur leurs préoccupations concernant plusieurs questions relatives aux droits humains qui sont en jeu avec les élections de dimanche.
Depuis l'arrivée de Chavkat Mirzioïev au pouvoir en 2016, plus de 2 000 nouvelles lois et décrets exécutifs ont été introduits dans le but de favoriser l'indépendance de la justice et d'améliorer le respect des droits humains. En outre, des défenseurs des droits humains, des journalistes et d'autres prisonniers politiques ont été libérés des prisons où ils purgeaient de longues peines après avoir été condamnés pour des motifs politiques lors de procès inéquitables.
Cependant, le contexte actuel, caractérisé par des entraves à l'action indépendante de la société civile, des persécutions et un harcèlement des journalistes et des critiques des autorités, la conduite d'élections libres et équitables est peu probable. Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) qui a ouvert une mission d'observation électorale en Ouzbékistan le 25 novembre 2019, a notamment rappelé que cela faisait de nombreuses années que le parti d'opposition n'avait pas été autorisé à concourir.
Dans leur note, la FIDH, l'IPHR et l'AHRCA reviennent sur leurs préoccupations concernant plusieurs questions relatives aux droits humains qui sont en jeu avec les élections de dimanche.
* * *
L’Association pour les Droits de l’Homme en Asie centrale
(AHRCA), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et
International Partnership for Human Rights (IPHR) souhaitent attirer
l’attention sur la situation très préoccupante en matière de droits humains en
Ouzbékistan, dans un contexte de réformes juridiques et économiques annoncées
par le président Mirziyoyev.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2016, plus de 2 000 nouvelles lois et décrets exécutives auraient été adoptées dans le but d’accroître l’indépendance de la justice et améliorer le respect pour des droits humains. Cependant, nous craignons que ces principes de l'état de droit, qui devraient accompagner toute libéralisation économique, ne soient pas appliqués dans la pratique. Vous trouverez une note détaillée sur la situation en matière des droits humains en Ouzbékistan en annexe de cette lettre (4 pages).
1. Préoccupations
concernant des violations persistantes des droits humains au sein du système de
justice pénale
1.1 Torture et mauvais
traitement
En septembre de cette année, nous avons découvert avec consternation les
réponses du gouvernement ouzbek à la liste des points à traiter du Comité des
Nations Unies contre la torture. Les réfutations catégoriques par l’État ouzbek
d’informations crédibles et soigneusement recueillies sur des cas de torture et
de mauvais traitements indiquent que le gouvernement du président Mirziyoyev ne
comptenullement prendre de mesures afin d’améliorer le bilan épouvantable du
pays en ce qui concerne l’une des violations les plus choquantes des droits
humains.
Nous sommes très préoccupés par des informations crédibles indiquant que la
torture et les mauvais traitements persistent en Ouzbékistan malgré le
programme de réforme annoncé en vue de résoudre ce problème.
1.2 Impunité pour les auteurs d’actes de torture
Les allégations de torture ne sont pas
examinées à temps et ainsi des preuves physiques peuvent disparaître (à mesure
que les marques de torture s’estompent) et les auteurs de ces actes échappent à
la justice.
Des pressions continuent d’être
exercées sur les avocats de la défense et sur les victimes de torture qui
tentent de porter plainte en raison des violations de leurs droits. Les
représentants des forces de l’ordre obligent les victimes et les avocats à
signer des accords de confidentialité en les menaçant de poursuites pénales en
cas de refus.
Nous savons que des fonctionnaires de
différents échelons sont désormais traduits en justice, mais les mesures
d’instruction mises en œuvre ne sont pas conformes aux normes internationales
en matière de droits humains. Les procès se déroulent à huis clos, en l’absence
d’observateurs indépendants. Nous avons suivi plusieurs affaires liées à des
anciens fonctionnaires dans lesquelles de graves violations du principe de
procès équitable ont été constatées, ainsi que le recours à la torture et à des
traitements psychiatriques punitifs.
1.3 Absence de mesures de réinsertion et de réparation pour
les victimes de torture incarcérées pour des motifs politiques
Bien que l’augmentation des acquittements constitue une évolution positive,
nous insistons sur le fait que les condamnations pénales basées sur des motifs
politiques ne font l’objet d’aucun réexamen. Il convient également de noter
qu’aucune compensation n’a jamais été versée aux victimes de tortures en
Ouzbékistan.
Par exemple, le militant des droits humains Agzam Turgunov s’est vu refuser le
droit de faire appel des condamnations prononcées à son encontre (et pour
lesquelles il a purgé 10 ans de prison). L’ancien parlementaire Samandar
Kokanov, qui a purgé 24 ans de prison, s’est également vu refuser le droit de
faire appel. Il existe de nombreux autres cas de ce type.
Les autorités ouzbèkes continuent de réfuter toutes les
allégations de torture et de bloquer l’accès à la justice et à la réparation
pour les personnes ayant subi des actes de torture. Lors de l’audience menée
par le Comité des Nations Unies contre la torture en novembre dernier à Genève,
la délégation ouzbèke a affirmé qu’en l’absence de preuves de torture dans les
cas d’Agzam Turgunov et d’autres prisonniers politiques, les conditions
nécessaires à un réexamen de leur procès n’étaient pas réunies. Les anciens
prisonniers incarcérés pour des motifs politiques qui tentent d’obtenir justice
se heurtent à des obstacles tels que l’impossibilité d’obtenir des copies des
jugements prononcés à leur encontre. Tel est le cas, par exemple, d’Erkin
Musaev.
Lors de la 68ème session du Comité des Nations Unies contre la torture, le chef de la délégation ouzbèke, Akmal Saidov, a déclaré qu’il il
existait sous l’ancien président Karimov une « liste noire » de
citoyens qui étaient persécutés pour des motifs religieux (personnes portant un
hijab, une barbe et priant cinq fois par jour) et que sous le président
Mirziyoyev, environ 20 000 de ces personnes avaient été remises en
liberté. Des représentants de partis d’opposition, d’organisations de défense
des droits humains et de journalistes ont été placés sur liste noire.
Des citoyens ont été poursuivis en vertu des articles suivants du Code
pénal ouzbek, utilisés afin de les sanctionner pour avoir ouvertement critiqué
les autorités, dénoncé publiquement les violations des droits humains dont
leurs proches ou eux-mêmes ont été victimes, ou pour avoir exercé leur droit
d’exprimer leurs croyances religieuses en public:
— 158-3 (« Insulte ou diffamation publique du président en ayant
recours à la presse ou à d’autres médias »),
— 159 (« Violations du système constitutionnel de la République
d’Ouzbékistan »),
— 216 (« Organisation illégale d’associations publiques ou d’organisations
religieuses »),
— 216-1 (« Propension à participer aux activités d’associations publiques
et d’organisations religieuses illégales »),
— 216-2 (« Violation de la loi sur les organisations religieuses »),
— 244-1 (« Production ou distribution de documents constituant une
menace pour la sécurité et l’ordre publics »),
— et 244-2 (« Création, direction, participation à des organisations
religieuses extrémistes, séparatistes, fondamentalistes ou à d’autres organisations
interdites ») ;
De nombreuses accusations montées de toutes pièces ont été formulées en se
basant sur ces articles et, par conséquent, la mise en place d’une
commission chargée d’examiner les affaires pénales en vertu de ces articles du
Code pénal et en présence d’observateurs indépendants doit être une priorité.
2. Conditions de
détention
Nous avons reçu des informations récentes et crédibles sur le recours à la
torture et au travail forcé dans les prisons du pays, alors qu’il existe très
peu d’informations transparentes et accessibles au public sur le nombre de
détenus.
Bien que les autorités ouzbèkes aient annoncé la fermeture de la prison de
Jaslyk, un établissement de haute sécurité, en août 2019, nous sommes
préoccupés par des informations selon lesquelles elle sera utilisée comme centre
de détention provisoire, ce qui donne fortement à craindre que les garanties
préalables au procès ne soient pas respectées.
Nous recevons régulièrement des
informations fiables faisant état de l’existence de travail forcé dans les
prisons ainsi que de soins de santé insuffisants et de mauvaise qualité. Nous
avons appris que les personnes âgées, les personnes en situation de handicap
ainsi que les personnes atteintes du sida et d’autres maladies graves ne
bénéficient pas de soins médicaux adéquats. La mauvaise qualité des soins de
santé dispensés aux détenus entraîne un fort taux de mortalité en détention,
mais aucune statistique et aucun résultat d’enquêtes officielles menées sur ces
cas n’est rendu public.
L’accès limité des observateurs indépendants aux lieux de
détention constitue l’un des obstacles les plus sérieux à l’amélioration des
conditions de détention et témoigne des difficultés rencontrées par la société
civile pour effectuer un travail de surveillance.
Le défenseur des droits humains Agzam Turgunov a tenté d’obtenir
l’autorisation de visiter les prisons aux côtés du Médiateur, mais ses demandes
ont été rejetées. (Vous trouverez ci-joint une réponse officielle à l’une de
ses demandes. Selon ce courrier, sa demande est rejetée car son organisation
n’est pas déclarée). Récemment, il s’est également vu refuser l’autorisation de
rencontrer le représentant du parquet chargé d’enquêter sur les cas de torture
et de travail forcé dans les prisons. La militante des droits humains Tatyana
Davlatova s’est également heurtée à des obstacles similaires.
3. Nécessité de considérer le mouvement indépendant de
défense des droits humains et ses défenseurs comme des partenaires constructifs
et non comme des menaces politiques
Difficultés de déclaration pour les organisations indépendantes de défense
des droits humains
Il est toujours extrêmement difficile de déclarer une organisation
indépendante des droits humains en Ouzbékistan. Des défenseurs des droits
humains indépendants continuent de faire l’objet de surveillance, de menaces et
de frais administratifs en représailles de leur travail. Au cours des vingt
dernières années, Agzam Turgunov a tenté de déclarer son organisation dix fois,
dont quatre fois pendant la seule année 2019.
Parmi les motifs de refus de la déclaration de l’organisation par les
autorités de l’État ouzbek, on compte :
— le fait que les documents de la demande n’aient pas été reliés par du fil
(alors que c’était le cas et que le document avait été certifié par un notaire) ;
— une exigence nouvellement introduite sur la nécessité d’identifier 10
membres fondateurs au lieu de trois ;
— l’absence d’une phrase dans le document constitutif stipulant que
l’organisation est habilitée à mener ses activités dans tout le pays.
Agzam Turgunov est actuellement dans l’attente d’une quatrième décision du
ministère de la Justice concernant sa demande de déclaration. En cas de refus,
il a l’intention de saisir la justice.
4. Modifications du Code pénal
Les autorités ouzbèkes préparent actuellement une mise à jour du Code
pénal. Dans le cadre de ce processus, nous appelons la communauté
internationale à demander aux autorités ouzbèkes de :
a) Dépénaliser les relations sexuelles consenties entre hommes (actuellement
passibles d’une peine allant de 3 à 5 ans de prison au titre de
l’article 120 du Code pénal).
b) Modifier l’article 235 (qui érige en infraction pénale le recours à la
torture). Dans sa rédaction actuelle, l’article stipule que toute
« pression psychologique ou physique illégale » constitue un crime,
laissant sous-entendre que la torture pourrait être légale dans certains cas.
Les experts internationaux du Comité des Nations Unies contre la torture ont
considéré que cette formulation était inacceptable car elle donne lieu à des
arrêts relatifs à la légalité de la torture dans certaines circonstances, alors
le droit international en fait l’interdiction absolue. Tous les États parties à
la Convention contre la torture sont tenus d’assurer une protection totale
contre la torture. L’Ouzbékistan devrait également être exhortée à modifier
l’article 235 afin de stipuler que les crimes de torture ne sont pas
soumis à un délai de prescription.
5. Les personnes LGBTI sont menacées de torture, d’abus
sexuels et d’extorsion
Nous avons reçu des informations récentes et crédibles
selon lesquelles, dans les centres de détention et les prisons, les hommes
homosexuels et bisexuels sont souvent soumis à des violences sexuelles
humiliantes et à des traitements cruels, inhumains et dégradants de la part de policiers,
de gardiens de prison et de codétenus. Ces derniers mois, nous avons récolté
des données sur les méthodes de torture suivantes : viols d’hommes
homosexuels avec des bouteilles par des gardiens qui attachent des objets
lourds à leurs parties génitales et les enveloppent dans du papier journal
auquel ils mettent le feu. Des prisonniers soupçonnés d’être homosexuels
seraient utilisés comme « esclaves » par d’autres détenus et par des
gardiens, et sont par exemple contraints de nettoyer les toilettes sales à
mains nues.
La police a également recours à des menaces
d’emprisonnement en vertu de l’article 120 et de divulgation de
l’orientation sexuelle de la personne afin d’intimider et de soumettre au
chantage les personnes LGBTI et d’abuser d’eux physiquement ou sexuellement.
Nous avons récolté des données concernant des menaces de ce genre visant
également des hommes hétérosexuels. Dans plusieurs cas récents, la police a
forcé des hommes à « avouer » des crimes graves tels que des actes de
« terrorisme » afin de leur éviter d’être inculpés en vertu de
l’article 120.
Les personnes LGBTI sont également menacées d’abus et
d’extorsion par des acteurs non étatiques. Des cas de pièges tendus à des
personnes LGBTI sur les réseaux sociaux ont été signalés, les victimes ayant
été agressées sexuellement par des hommes homophobes et filmées avant d’être
victimes de chantage.
Des défenseurs LGBTI exilés d’Ouzbékistan nous ont
signalé que plusieurs hommes homosexuels avaient été tués ou gravement blessés
après que des activistes homophobes ont lancé des appels en ce sens sur les
services de messagerie sur Internet et diffusé leurs informations personnelles
(photos/adresses, etc.). À notre connaissance, les autorités n’ont pas pris de
mesures en vue d’enquêter sérieusement sur ces crimes et de traduire leurs
auteurs en justice.
Dans la grande majorité des cas, les victimes ne déposent
aucune plainte par crainte des représailles. Nous avons également pris
connaissance de cas dans lesquels des personnes LGBTI n’ont pas pu supporter
les intimidations et les abus et se sont suicidées.
Les groupes qui défendent les droits des LGBTI ne peuvent
pas travailler en toute sécurité dans le pays.