Bref aperçu du parcours d'Obidkhon NazarovLe 22 février 2012, Obidkhon Nazarov, imam et théologien ouzbek bien connu, vivant actuellement à Stromsund, ville au Nord de la Suède, a fait l'objet d'une agression. Avant de s'enfuir, l'auteur de ce crime avait tiré à plusieurs reprises sur Obidkhon, le blessant grièvement. A proximité du lieu de l'agression, on a retrouvé un silencieux ainsi qu'un sac à dos avec une arme, ce qui indique qu'il s'agit d'un professionnel rémunéré. Les médecins jugent critique l'état de santé de Nazarov. L'enquête ne fait que commencer mais nous avons des raisons de soupçonner les services spéciaux ouzbeks d'avoir commandité cette agression.
Obid kori Nazarov |
Obidkhon Nazarov est né en 1959 (Nom en religion: Obid kori Nazarov). De 1990 à 1996 il a été imam de la mosquée 'Toukhtaboï' à Tachkent. Après ses déclarations critiques sur la disparition, en 1995, d'Abdouvali kori Mirzaev - homme de religion qui jouissait d'une grande autorité, - Nazarov fut écarté de ses activités religieuses, sur décision des autorités ouzbeks. Peu après, il fait l'objet de poursuites criminelles et en 1998 il est 'recherché' par la police. Il passe les deux années suivantes caché quelque part en Ouzbékistan. En 2000, il quitte le pays pour le Kazakhstan où il est placé alors sous la protection du HCR des Nations-Unies. Par la suite, la Suède lui reconnaît le statut de réfugié politique.
En Ouzbékistan, les autorités accusent Obidkhon Nazarov d'extrémisme religieux et de participation à des activités terroristes. De fait, quelque cinq mille musulmans d'Ouzbékistan purgent de longues peines de prison pour des accusations similaires et sans avoir eu droit à un procès équitable ni celui de choisir un avocat. Pour la plupart, ils purgent leur peine dans la colonie pénitentiaire à régime sévère de Jaslyk que les observateurs comparent aux prisons de l'époque stalinienne. Le régime de Karimov fait tout pour priver désormais ces détenus du droit de se défendre réellement.
En Ouzbékistan, les procès violent de manière criante toutes les normes établies de procédure pénale et les juges ignorent souverainement les allégations des accusés sur les tortures subies pendant l'instruction. Alors que le pouvoir l'accuse d'extrémisme, Nazarov est, en fait, intervenu plus d'une fois publiquement pour défendre les diverses confessions présentes en Ouzbékistan ainsi que la liberté de parole et les autres libertés politiques. Obidkhon kori est un opposant politique déterminé au régime de Karimov mais il ne prône que des méthodes pacifiques de lutte et récuse l'idée même d'un Etat islamique en Ouzbékistan.
Selon la présidente de l'association Droits de l'homme en Asie centrale, Nadejda Atayeva, "il y a tout lieu de penser que les fils de ce crime mènent à Tachkent. Ce crime émane du régime de Karimov et doit être qualifié de tentative d'assassinat politique. Tout acte de ce type commis par les services spéciaux ouzbeks peut et doit être qualifié d'acte de terrorisme international et vise à éliminer tout dissident dans le pays."
Ce sont les circonstances dans lesquelles cette agression a été commise et l'historique du combat du régime Karimov contre ses opposants qui pointent en direction des services spéciaux ouzbeks. En effet, la tentative d'assassinat sur la personne de Nazarov fut précédée d'un déchaînement de calomnies contre lui. En 2010, la télévision officielle ouzbek a présenté un documentaire intitulé 'Khounrezlik' ('Sang versé'). On y présente l'imam Obid kori comme un extrémiste religieux actif et un terroriste. A diverses reprises, des menaces non-équivoques de règlement de comptes physique ont paru sur le site internet 'Press-uz Info' - site créé par le Service de la sécurité nationale (SNB) ouzbek, aux fins de propagande anti-opposants.
L'assassinat politique du journaliste bien connu Alicher Saïpov - citoyen kirghiz d'origine nationale ouzbek - fut précédé du même type de harcèlement dans les médias contrôlés par le pouvoir ouzbek. Saïpov dirigeait alors, à Och, le journal 'Siësat' ('Politique') qui contenait des informations critiques à l'endroit du régime ouzbèk. C'est pour l'en punir qu'Alicher fut tué par balles devant son bureau. L'enquête échoua, victime du manque de zèle professionnel des forces de l'ordre du Kirghizistan. Mais rares sont ceux qui ne pensent pas que le Service de la sécurité nationale ouzbek est à l'origine de cet assassinat.
C'est à l'instigation des services spéciaux ouzbeks qu'un assassinat analogue a été perpétré en novembre 2011, en Russie cette fois. Fouad Roustamkhodjaev citoyen russe et homme d'affaire - membre de l'opposition ouzbek "Mouvement national d'Ouzbékistan" - fut tué d'un coup de pistolet. L'enquête menée par les instances russes - tout comme l'avait été celle de leurs collègues du Kirghizistan - fut superficielle. Mais voulait-on approfondir ? La question est purement rhétorique, quand on sait l'étroite coopération que pratiquent entre eux et depuis fort longtemps, les services spéciaux ouzbeks et russes.
Au compte de la Sécurité nationale de l'Ouzbékistan, figurent encore d'autres crimes, en particulier la tentative d'assassinat du leader du parti d'opposition ‘ERK’, Moukhammad Solikh, en 2001: c'est grâce à la bonne coopération des service spéciaux de Norvège et de Suisse que la chose échoua.
L'assassinat sur le territoire d'autres Etats n'est pas la seule arme des services spéciaux ouzbeks, dans leur guerre contre les dissidents politiques. Ils recourent aussi largement à l'enlèvement d'indésirables ainsi qu'à leur expulsion de l'étranger vers l'Ouzbékistan, où les attendent arrestations, tortures, procès non-équitables.
La majorité des enlèvements de citoyens ouzbeks à l'étranger se produisent en Russie. Nous connaissons au moins vingt cas de ce genre. C'est ainsi que, le 21 décembre 2011, Roustam Zokhidov, originaire de Samarkand, est enlevé. Le 15 septembre 2010, trois hommes originaires d'Andijan - S. Satvaldiev, M. Youssoupov et A. Bekpoulatov - avaient été enlevés. Placés de force dans un vol pour Tachkent sous des noms figurant sur de faux papiers délivrés par l'ambassade ouzbek en Russie, ils avaient été convoyés jusqu'à Andijan, dès leur arrivée en Ouzbékistan, et accusés alors d'avoir participé à des organisations religieuses interdites et d'avoir partie liée avec Moukhammad Salikhov. Les poursuites furent menées en secret, de manière expéditive et en totale violation des normes de procédure mondialement admises. Journalistes indépendants et défenseurs des droits furent interdits d'audience.
C'est sans obstacle et en toute illégalité que le Service de la sécurité nationale d'Ouzbékistan (SNB) a enlevé des citoyens ouzbeks qui avaient fui ou émigré au Kirghizistan voisin. Voici quelques exemples: Isroïl Kholdarov - membre de la 'Société des droits de l'homme d'Ouzbékistan' - 'Ezgoulik' - est enlevé en mai 2006 dans la ville d'Och, su Sud du Kirghizistan. Au bout de quelque temps il se retrouve en Ouzbékistan et en février 2007, le tribunal de district d'Andijan le condamne à six années de privation de liberté, selon les articles suivants du Code pénal ouzbek : 159 - atteinte à l'ordre constitutionnel; 216 - création d'une association illégale; 223 - sortie illégale du pays et 244-1 - diffusion de matériaux constituant une menace pour la sécurité nationale.
Validjon Babadjanov est enlevé le 16 août 2006 sur le territoire du Kirghizistan. Le 21 août déjà, on apprend qu'il est détenu dans les sous-sols du SNB. De même Saïdullo Chakirov, Bajkhtiër Akhmedov et Ilkhom Abdounabiev sont enlevés, en août 2006, sur le territoire du Kirghiszistan.
Par ailleurs, le pouvoir ouzbek s'emploie à faire pression sur ses ressortissants émigrés en les menaçant personnellement par téléphone ou en exerçant des pressions psychologiques sur leurs proches restés au pays. C'est ce type de harcèlement (appels téléphoniques répétés, menaces sur des membres de leur famille ou par leur intermédiaire) qu'ont subi Akmal Khaïdarov (au Canada), Moukhamad Salikh (réfugié statutaire en Norvège) Jodgor Obidov (Autriche), Mirakhmat Mouminov et Chovroukh Khalikov (Etats-Unis) Alicher Abidov et Moukhabbat Pozilova (Norvège), Bakhtiër Moukhtarov (Finlande).
Mais c'est en Suède que se trouvent le plus grand nombre d'émigrés subissant ce type de harcèlement ininterrompu. Outre Obidkhon Nazarov il y a ses frères, Abdoumalik et Abdoufatakh, ainsi que son fils Moukhitdin; et aussi Khassan Temirov, Moukhammadsalikh Aboutov, les journalistes Koudrat Babadjanov et Toulkine Karaev; de même que divers membres de l'opposition : Alim Karabaev, Marouf Abdougaffarov, Avazbek Faiëzov, d'autres encore.
Il importe de souligner qu'Obidkhon Nazarov avait déjà fait savoir à la police suédoise qu'il était suivi par des individus suspects. Malheureusement, l'information n'a pas été prise au sérieux. Pendant longtemps la police suédoise a ignoré aussi les déclarations d'autres réfugiés politiques ouzbeks qui lui faisaient part des pressions exercées sur eux par les services spéciaux de leur pays, soit par téléphone soit sous forme de chantage sur des membres de leur famille demeurant en Ouzbékistan. Cette prise en compte tardive des menées des services spéciaux ouzbeks par la police suédoise est l'une des causes de la tentative de meurtre rapportée plus haut: percevant leur impunité, ces services décident de recourir à l'assassinat, au mépris de la souveraineté de la Suède.
D'autre part, on a des raisons de penser qu'enlèvements et meurtres sur commande ont été soigneusement préparés par les services spéciaux ouzbeks. A cet effet, ceux-ci ont créé une base logistique adéquate en Suède; peut-être aussi, dans d'autres pays européens. Son fonctionnement n'est possible qu'avec l'appui des missions diplomatiques ouzbeks dans les pays concernés. La coordination des opérations de ce type s'effectue grâce à l'implication active des secrétaires d'ambassade qui sont autant de créatures du SNB. Les ambassades d'Ouzbékistan jouent un rôle décisif dans l'enlèvement de ressortissants ouzbeks à l'étranger, grâce à l'immunité du personnel et des transports diplomatiques.
Outre leur participation à l'enlèvement d'opposants au régime de Karimov, les représentations diplomatiques d'Ouzbékistan constituent un maillon essentiel dans le système de filature des émigrants politiques ouzbeks à l'étranger. Par voie de chantage et de menaces, ambassades et service spéciaux s'efforcent de recruter des informateurs parmi leurs ressortissants se trouvant temporairement à l'étranger: étudiants, gens de culture, tout comme parmi les migrants eux-mêmes. L'Association Droits de l'homme en Asie centrale connaît diverses tentatives pour recruter collaborateurs et informateurs.
Les services spéciaux s'appuient aussi sur toute sorte d'entreprises commerciales créées par le pouvoir ou par des hommes d'affaires ouzbeks à l'étranger. Au premier chef, il s'agit des postes d'escale de la compagnie d'aviation 'Ouzbek Airlines' dont les agents participent activement à l'enlèvement de citoyens ouzbeks émigrés et à leur rapatriement forcé. On doit mentionner aussi toute une pléiade de firmes au personnel ouzbek, implantées dans divers pays européens et à vocation de 'consultants', etc. Elles devraient faire l'objet d'une attention toute particulière de la part des services spéciaux de ces Etats. Non seulement pour protéger les Ouzbeks qui s'y réfugient mais aussi pour veiller au respect de la souveraineté de ces Etats. Jusqu'à maintenant, la Suède et d'autres pays membre de l'Union européenne. ont manifestement négligé de prendre les mesures de vigilance qui s'imposent. Du coup, ils servent de plate-forme à des actes de terrorisme international que l'on doit imputer au régime de Karimov.
L'Occident doit enfin réagir de manière adéquate. Faute de quoi, la série des assassinats politiques et des enlèvements continuera. Nous proposons aux Gouvernements des Etats-Unis, de Suède et l'Union européenne. D’examiner l'opportunité des mesures suivantes :
1. Que la Suède et les autres membres de l'UE mènent une enquête non seulement sur la tentative d'assassinat contre Obidkhon Nazarov mais sur les pressions exercées sur les réfugiés politiques ouzbeks par les services spéciaux ouzbeks.
2. Que les Gouvernements des Etats-Unis d'Amérique, du Canada et d'Europe:
- enquêtent sur les activités des missions diplomatiques et des entreprises ouzbeks enregistrées dans leurs pays respectifs et organisent le suivi attentif de leur activité;
- exercent une surveillance plus stricte des activités de la société d'aviation civile 'Uzbek Airlines', en particulier quant à l'accès des autorités diplomatiques ouzbeks aux procédures d'embarquement.
3. Que l'Union européenne ré-examine la question des sanctions, en fonction d'un élément nouveau : la participation de l'Ouzbékistan au terrorisme international.
4. Que les Etats-Unis d'Amérique reviennent sur leur décision d'apporter une aide militaire à l'Ouzbékistan, car elle peut servir à des fins de terrorisme par son Gouvernement.
5. Que l'Allemagne interdise à celles de ses entreprises qui l'envisagent, de livrer à l'Ouzbékistan des appareils électroniques destinés à la filature d'individus. Il ne fait pas de doute que ces dispositifs seront utilisés contre l'opposition politique et les dissidents, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays.
Nous espérons que l'Union européenne, les Etats-Unis d'Amérique et le Canada examineront nos constats et nos propositions avec tout le sérieux qui convient.
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