Bruxelles,
Belgique
Mesdames, messieurs,
Je m’adresse ici à tous ceux présents dans cette salle. Je
souhaiterais attirer votre attention sur la situation des droits de l’homme en
Ouzbékistan, dix ans après la tragédie d’Andijan.
Le meurtre de masse commis par le gouvernement du dictateur
Islam Karimov, le 13 mai 2005, est un crime auquel aucun délai de prescription
ne s’applique. Et la nécessité qu’une enquête internationale indépendant soit
menée persiste.
L’utilisation non justifiée d’armes à feu a provoqué de
nombreuses victimes. La tragédie d’Andijan est une conséquence légale de la
politique de répression mise en place par le régime d’Islam Karimov. Cette
politique exclut tout respect de la Constitution et des accords internationaux
conclus en matière de droits de d’homme, et ratifiés par l’Ouzbékistan.
Les sanctions adoptées par l’Union
européenne à l’encontre de l’Ouzbékistan, après la tragédie d’Andijan, a envoyé
un signal fort, montrant que l’Union européenne se préoccupait du respect des
droits de l’homme. Cependant, les sanctions ont été levées, alors même que les
conditions à cette suppression n’avaient pas été remplies. Puis, en 2007,
l’Union européenne a ouvert un dialogue avec le gouvernement d’Ouzbékistan en
matière de droits de l’homme. Un marchandage politique a ainsi débuté face à la
détérioration de la situation des droits de l’homme en Ouzbékistan.
Actuellement, plus de 200 mille personnes
sont emprisonnées, et non 46 mille, selon les données officielles. Parmi eux
près de 12 mille personnes sont des prisonniers politiques, dont 40 activistes
de la société civile. L’ancien député du Parlement d’Ouzbékistan Mourad
Djouraev s’est vu prolonger sa peine d’emprisonnement à cinq reprises
successivement : cela fait 21 ans qu’il est incarcéré. Les défenseurs des
droits de l’homme Isroil Kholdarov, Azam Farmonov, Ganikhon Mamatkhanov et le
journaliste Moukhammad Bekjanov purgent actuellement une peine de prison qui a
déjà été reconduite une fois.
Toutes les tentatives pour contester ces condamnations sont
restées lettres mortes face à une Justice dépendante de l’exécutif, au même
titre que le pouvoir législatif. A l’issue des dernières élections
législatives, huit juges, dont l’un est également membre d’un parti politique,
ont été élus députés. Cela ne fait que peu de temps que leurs prérogatives
attachées à leur fonction judiciaire leur ont été retirées. Et le fait que le
président de la Cour constitutionnelle, également président de la Commission électorale,
les ait autorisés à se présenter aux élections témoigne d’irrespect total
envers la Constitution. Tout comme le fait que le dictature Islam Karimov soit
reconduit à la présidence du pays pour la quatrième fois successive.
Au cours des dix dernières années, 487
activistes de la société civile ont été victimes de répression, tandis que
leurs proches souffrent de discrimination. Chaque année, le nombre de réfugiés
originaires d’Ouzbékistan augmentent. Pendant cette période, notre organisation
a reçu des demandes d’aide de plus de 1112 réfugiés ouzbékistanais. Il est
impossible de connaître le nombre exact de réfugiés ouzbékistanais à travers le
monde, car tous ne s’adressent pas au Haut-Commissariat des Nations unies pour
les réfugiés. Jusqu’à présent, les procédures pour obtenir le statut de
réfugiés n’étaient pas connues de tous, et beaucoup préfèrent ainsi rester dans
l’illégalité. Sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces, des avis
de recherches ont été lancés via Interpol à l’encontre de milliers de citoyens
ouzbékistanais, notamment à l’encontre de tous ceux qui ont été témoins de la
tragédie d’Andijan, des célèbres défenseurs des droits de l’homme Loutfoullo
Chamsoutdinov et Mouzaffarmirzo Iskhakov, et de bien d’autres encore.
Il est inadmissible de poursuivre un
dialogue strictement formel sur les droits de l’homme entre l’Union européenne
et l’Ouzbékistan. Cela mène à une augmentation du nombre des victimes de
violations des droits de l’homme et des réfugiés ouzbékistanais, y compris
illégaux.
Les gouvernements des États membres de
l’Union européenne prêtent toujours moins attention à la situation des droits
de l’homme en Ouzbékistan. Ils multiplient toujours plus les obstacles pour
accueillir les réfugiés ; les demandes adressées par des organisations de
défense des droits de l’homme aux services de migration restent souvent sans
réponses. Et cela, même quand les conclusions des défenseurs des droits de
l’homme concernant les violations des droits des réfugiés sont documentées et
fondées sur des preuves concrètes. Non seulement la justice et les organes du
pouvoir ouzbékistanais ignorent les plaintes des victimes de tortures, mais
désormais les pays européens ont également cessé de réagir. Ainsi, un groupe de
citoyens ouzbékistanais a été contraint de quitter la Norvège. Après leur
retour forcé en Ouzbékistan, en totale violation du principe de présomption
d’innocence, on les a qualifiés à la télévision, avant leur procès, de
“terroristes” et de “traîtres à la patrie”. Ensuite, ils ont été condamnés à
des peines de prison allant jusqu’à douze ans de réclusion. Tous ont été
victimes d’actes de torture. Cela a été l’une des conséquences de la politique
norvégienne. Peu de temps après, ce pays a décidé d’interrompre temporairement les
expulsions des demandeurs d’asile ouzbékistanais vers leur pays d’origine.
Cependant, la Norvège refuse toujours d’accorder l’asile même aux défenseurs
des droits de l’homme ouzbékistanais. Cette pratique se retrouve également en
Suède, en Lettonie, en Pologne. La France et la Grande-Bretagne ont aussi
arrêté d’étudier formellement les dossiers des réfugiés ouzbékistanais. Ces
pays ignorent les preuves irréfutables de la pratique de la torture en
Ouzbékistan et les conséquences d’un long séjour à l’étranger pour les citoyens
ouzbékistanais. Si certains migrants vivent à l’étranger plus longtemps que la
durée autorisée, ils deviennent alors coupables de l’infraction décrite par
l’article 223 du code pénal de la république d’Ouzbékistan (sortie illégale du
territoire ou entrée illégale en République d’Ouzbékistan).
Cette politique s’applique de plus en plus aux
représentants de communautés et d’organisations religieuses, mais également aux
entrepreneurs. Elle concerne en particulieur ceux qui ont été victimes d’actes
de corruption et d’opérations de mainmise sur leurs biens, notamment par les
proches de la fille d’Islam Karimov et par les hauts fonctionnaires de services
nationaux de sécurité (SNB).
En rejetant la demande d’asile
d’entrepreneurs ouzbékistanais, les services de migration ignorent le fait que
le droit de propriété n’est en rien défendu en Ouzbékistan, et, que tout ce qui
a trait à la fiscalité y est hautement corrompu. Le département des impôts est
dirigé par l’un des plus riches et influents personnages d’Ouzbékistan, Batyr
Parpiev, un proche de Roustam Inoïatov, directeur du SNB. Ce dernier est l’un
des douze hauts fonctionnaires ouzbékistanais qui ont été interdits d’entrée
sur le territoire de l’Union européenne de 2005 à 2009.
Pendant les 26 années de règne d’Islam
Karimov, pas un directeur ou responsable, y compris le président lui-même, n’a
déclaré ses revenus. En outre, leurs biens ne correspondent évidemment pas à
leurs revenus officiels. Dans un tel pays, il est très difficile d’être protégé
d’actes de torture, de compter sur une enquête judiciaire juste, et même de
rester en vie. Voilà pourquoi désormais les entrepreneurs demandent l’asile.
Certains travailleurs émigrés ouzbékistanais, qui vivent quelques mois à
l’étranger, cherchent également a obtenir le statut de réfugiés. Lorsqu’ils
reviennent en Ouzbékistan, on leur extorque des pots-de-vin, on les contraints sous
la torture à délivrer de faux témoignages contre eux-mêmes et contre ceux avec
qui ils ont été en contact à l’étranger.
Les services de migration des États membres de l’Union
européenne prennent rarement en considération le fait que les réfugiés
originaires des pays d’Asie centrale sont loin d’avoir la possibilité de
documenter et de prouver formellement les motivations politiques de leur
persécution. En Ouzbékistan, presque
tous ceux soumis à un interrogatoire n’ont pas reçu de convocation, et aucune
enquête n’est menée lorsque des actes de torture sont perpétrés. Par exemple, en
2014, le défenseur des droits de l’homme Fakhriddine Tillaïev, alors en
détention provisoire, a été torturé pendant
l’enquête. Son avocat a alors immédiatement requis une expertise médico-légale,
mais le Parquet général et le tribunal ont ignoré sa demande.
Un autre problème très grave : les services
de sécurité ouzbékistanais jouissent de pouvoirs illimités. Ils sont ainsi
mandatés au sein de l’Organisation de coopération de Shanghaï et de
l’Organisation du traité de sécurité collective. Les échanges de réfugiés avec
la Russie, le Kirghizstan, le Kazakhstan et le Tadjikistan sont devenus des
pratiques habituelles. Plus de 100 réfugiés originaires de Och, vivant en
Ouzbékistan illégalement et soumis à un contrôle total de la part du SNB, sont
menacés d’être expulsés vers le Kirghizstan.
Au cours des quatre derniers mois, notre
organisation a comptabilisé quatorze cas d’enlèvements et de disparitions de
citoyens ouzbékistanais. Depuis 2007, trois personnes ont été assassinées en
raison de leur opposition politique au régime d’Islam Karimov, tandis que
plusieurs attentats pour des motifs politiques ont été commis : à l’encontre de
Moukhammad Salikh en Norvège et en Turquie, et à l’encontre de l’autorité
religieuse Obid kori Nazarov en Suède. Nous observons également que beaucoup de
réfugiés politiques en Suède, en Norvège, aux Pays-Bas, en France, au Canada et
aux États-Unis sont menacés ou victimes de chantage. Nous avons l’intention de
saisir de cette question les Parquets généraux de ces pays.
Selon les informations de notre
organisation, des diplomates ouzbékistanais participent à ces activités. Si
jusqu’en 2007, le corps diplomatique d’Ouzbékistan était composé à hauteur de
20% d’anciens fonctionnaires des services nationaux de sécurité et de leurs
agents, ces derniers en constituent désormais plus de 50%. Selon une source
fiable, les ambassades d’Ouzbékistan coordonnent les activités de renseignement
dans les États membres de l’Union européenne. Toutes les candidatures à des
fonctions diplomatiques sont confirmées par le SNB. Nous avons remarqué que des
oligarques ouzbékistanais, contrôlés par le SNB, sont impliqués dans les
menaces adressées aux réfugiés politiques et dans les agressions de ces
derniers. L’ancien premier adjoint du directeur des services de sécurité, Khaïot
Charifkhodjaïev, et sont petit frère, Djavdat Charifkhodjaïev, actuellement en
prison, sont célèbres dans l’opinion publique. Quelques années auparavant,
grâce à leurs postes dans la fonction publique, ils ont soumis de riches
entrepreneurs au chantage, obligeant certains à financer des opérations
spéciales de liquidation d’opposants au régime d’Islam Karimov vivant à
l’étranger. Tous ont en leur possession les preuves indispensables pour contrer
cette pratique.
En dix ans, l’Association des Droits de
l’homme en Asie centrale a recensé 114 cas de meurtres, d’enlèvements, et de
disparitions, auxquels ont participé le SNB, des diplomates et des oligarques.
En Ouzbékistan, les citoyens originaires du
Karakalpakstan sont victimes de discrimination. Ils ne sont pas persécutés
seulement pour leur opinion politique ou militantisme en faveur de
l’indépendance de cette république autonome. Alors qu’ils sont victimes de la
pollution de leur environnement naturel, pas un n’a encore été reconnu “réfugié
environnemental”. Dans le cadre du dialogue sur les droits de l’homme, il est
indispensable d’inclure un programme de soutien à la population du
Karakalpakstan.
Il est inadmissible de poursuivre un
dialogue strictement formel sur les droits de l’homme entre l’Union européenne
et l’Ouzbékistan. Le dialogue actuel ne fait qu’encourager la répression et
nécessiterait d’une réforme en profondeur.
Il est indispensable que l’Union
européenne revienne à ses premières exigences, qui avaient été adressées au
gouvernement d’Ouzbékistan lors de l’annulation des sanctions en 2009, et qui depuis lors
n’ont toujours pas été remplies. Il est également grand temps d’appliquer larésolution adoptée par le Parlement européen en octobre 2014. Le Parlement européen
doit rappeler encore une fois qu’il est très important que l’Union européenne
mène une politique cohérente envers l’Ouzbékistan.
L’Association des Droits de l’homme en Asie centrale, l’International Partnership for Human Rights, Human Rights Watch,
Amnesty International, et la Fédération internationale des Droits de l’homme appellent l’Union européenne à exiger:
1. une enquête internationale indépendante sur la tragédie
d’Andijan qui s’est produite en 2005;
2. la libération des défenseurs des droits de l’homme et des
autres activistes de la société civile emprisonnés;
3. le rétablissement de l’accréditation de Human Rights Watch et
de ses représentants dans le pays;
4. la création des conditions nécessaires aux visites des
délégués du Comité international de la Croix-Rouge des lieux de privation de
liberté;
5. la suppression de la pratique du travail forcé;
6. l’autorisation pour les onze Rapporteurs spéciaux thématiques
des Nations unies d’entrer sur le territoire ouzbékistanais.
7. Comme le gouvernement d’Ouzbékistan refuse de coopérer avec
les organes de défense des droits de l’homme des Nations unies, et viole de
manière grossière et systématique les droits de l’homme, il faut que le Conseil
des droits de l’homme des Nations unies soutienne les Rapporteurs spéciaux
concernant l’Ouzbékistan.
Mesdames, messieurs,
À la veille de la commémoration des dix ans
de la tragédie d’Andijan, je m’adresse à nouveau à vous. J’espère sincèrement,
qu’une nouvelle stratégie pour les relations de l’Union européenne avec
l’Ouzbékistan sera adoptée. En tant que citoyenne ouzbékistanaise, je souhaite
que la liberté d’expression soit respectée dans mon pays, qu’un système de
justice indépendant y voit le jour, que de solides conditions pour la défense
des droits et des libertés fondamentaux y soient créées. L’Union européenne a
la possibilité ici de contribuer de manière historique au développement
démocratique de l’Ouzbékistan.
Nadejda Atayeva
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